2° dimanche de carême.
Jésus
se rend à Jérusalem avec ses disciples pour les fêtes annuelles de la
Pâque. Ce sera la dernière fois, car, il l’a annoncé à ses disciples,
il pressent qu’il y sera arrêté et mis à mort. Juste avant, il avait
été reconnu par ses disciples comme le Messie, celui que tout le peuple
attend depuis la promesse faite à Abraham. Et sur la route de
Jérusalem, la petite troupe passe au pied d’une montagne, sans doute le
Mont Tabor. Ce n’est pas à proprement parler une montagne, mais plutôt
une colline très remarquable, isolée, posée sur la plaine qu’elle
domine de près de 600 mètres tout de même. Jésus pourrait suivre la
route de la plaine, mais il choisit de faire un écart. Il amène avec
lui Pierre, Jacques et Jean sur la montagne. Pierre, Jacques et Jean,
ceux-là même qui seront témoins de son agonie quelques jours plus tard.
La montée est rude, mais, du sommet, le panorama est magnifique sur la
plaine et, au loin, les montagnes de Galilée et le lac de Tibériade.
Jésus emmène ses plus proches amis, comme pour leur faire une
confidence, leur révéler un secret : « Venez, j’ai quelque
chose à vous montrer ». Et ce qu’il va leur montrer, ce n’est pas
simplement un magnifique paysage. Ce que Pierre, Jacques et Jean vont
voir, c’est rien moins que la Gloire de Dieu manifestée en Jésus, le
Christ et Sauveur. Et aux côtés de Jésus, ils vont voir également Moïse
et Elie. Pourquoi ces 2 personnages ? Moïse est celui à qui Dieu
s’est manifesté sur une autre de montagne, l’Horeb, dans le feu d’un
buisson qui ne se consumait pas. Et plus tard, Dieu va donner à Moïse,
au Mont Sinaï, encore une montagne, la Loi pour son peuple. Quant à
Elie, rappelez-vous, c’est le prophète à qui Dieu s’est manifesté, non
pas dans le tremblement de terre, non pas dans l’ouragan, ni dans le
feu, mais dans le souffle d’une brise légère. Et où cela ? encore
sur une montagne, l’Horeb, celle du buisson ardent de Moïse. Pour des
juifs connaissant parfaitement les Ecritures, et imprégnés de cette
culture, comme l’étaient Pierre, Jacques et Jean, et comme le sont
aussi les destinataires de l’évangile de Matthieu, Moïse représente ici
« la Loi » et Elie « les Prophètes ». La loi et les
Prophètes, c’est-à-dire la totalité des Ecritures, la totalité de la
révélation jusqu’alors. Les voir ensemble, au sommet d’une montagne,
c’est voir Dieu. Mais les disciples ne comprennent pas tout de suite.
« Seigneur, il est heureux que nous soyons ici. Dressons trois
tentes… » Il a fallu attendre qu’une nuée lumineuse les couvre de
son ombre, et qu’une voix dise : « celui-ci est mon Fils
bien-aimé, écoutez-le ! » pour qu’ils réalisent : Ils
sont bel et bien en présence de Dieu ! Grande frayeur ! On
les comprend ! Mais Jésus s’approche, et les touche. Voilà une
nouveauté ! A Moïse, Dieu avait dit à travers le buisson
ardent : « n’approche pas ! Ôte tes sandales, car
ce lieu est un lieu saint !» et Moïse s’était alors voilé le
visage pour ne pas risquer de s’éblouir à la vue de la Gloire de Dieu.
Mais voici qu’à présent, par Jésus, Dieu n’est plus lointain et
inaccessible : il s’approche et il nous touche. Les mots qui
accompagnent ce geste ne sont pas anodins :
« Relevez-vous ! ». Dans le texte grec d’origine, le
verbe « se relever » est le même que pour désigner la
résurrection de Jésus, que Dieu a « relevé d’entre les
morts ». Pour nous, chrétiens, c’est clair : la
Transfiguration, c’est la manifestation, la révélation de Dieu. Comme
St Paul l’écrit à Timothée, « Sa grâce est maintenant devenue
visible à nos yeux ». Dieu se montre. Il se fait tout proche, au
point de nous toucher. La distance entre lui et nous est désormais
abolie. Il nous touche. Et par cette proximité nouvelle, par cette
intimité avec lui, il nous permet de nous relever, de ressusciter avec
lui ! « relevez-vous, n’ayez pas peur ! ».
Mais,
vous l’avez remarqué, pour parvenir à cette intimité avec Dieu, il a
fallu aux disciples accepter de faire ce détour, ce changement de
route. Gravir une montagne, alors que la route directe était plane et
toute droite, toute tracée devant eux. Accepter de faire un
déplacement, de quitter nos certitudes rassurantes. Comme jadis Abraham
a dû quitter son confort, laisser ses biens et sa maison, pour répondre
à l’appel de Dieu « pars, laisse ta famille et la maison de ton
père, va vers le pays que je te montrerai ». Sans savoir où il
allait, simplement sur la confiance. Il est parti sur la foi en une
promesse. Promesse dont la réalisation était plus qu’improbable,
puisqu’il était déjà vieux, qu’il n’avait pas encore d’enfant et qu’il
lui était promis une descendance ! Un déplacement plus que risqué,
coûteux, une folie ! mais nous savons, nous qui connaissons la
suite de l’histoire, puisque nous sommes nous-mêmes le fruit de cette
Promesse, combien ce changement radical dans sa vie s’est avéré
riche et fécond !
Nous l’avons dit, cet épisode de la
Transfiguration a lieu quelques jours avant la Passion, la mort et la
résurrection de Jésus. Quelques jours avant l’épreuve que vont vivre
les disciples, comme pour les rassurer à l’avance, leur donner des
garanties sur l’identité de celui qui leur sera enlevé pour être
crucifié. Pour les rassurer, peut-être. Mais en tout cas, ça ne leur a
pas ôté l’épreuve, la peur, le doute, la lâcheté qui s’en sont suivis.
Et même si, au sommet de la montagne, ils se sentaient bien, avec
Jésus, Moïse et Elie – ils étaient prêts à y rester quelque temps,
puisque Pierre propose de dresser des tentes. C’est vrai, on est si
bien entre soi ! – Même s’ils se trouvaient bien, il a bien fallu
repartir, redescendre vers la plaine, vers le monde, vers la vraie vie.
Quitter le petit nuage douillet et réconfortant, pour affronter les
dures réalités de la condition humaine, aller à la rencontre des autres
hommes, car c’est là que se trouve la mission. « Relevez-vous,
n’ayez pas peur ! ».
De même que Jésus cheminait avec ses
amis vers Jérusalem, vers son arrestation, sa mort et sa résurrection,
de même il chemine aujourd’hui avec nous sur cette longue route du
carême, vers la Semaine Sainte puis Pâques, c’est-à-dire vers le
mémorial de sa Passion et de sa Résurrection, vers notre propre passion
et notre propre résurrection. Alors, sur ce long chemin de
quarante jours, prenons aussi le temps de faire un détour, de
gravir la montagne par des passages parfois escarpés, non balisés. Ce
détour nous permettra de contempler nous aussi ce magnifique paysage
qui réjouira nos yeux et comblera notre cœur. Il nous donnera la force
et l’espérance, cette espérance dont nous avons tant besoin pour
continuer la route. Il nous donnera la joie de redescendre vers nos
frères qui nous attendent dans notre quotidien. Et même s’il ne nous
évite pas les épreuves, nos peurs, nos doutes, nos lâchetés peut-être,
ce qui nous attend, en acceptant ce petit crochet vers la montagne de
Dieu, vaut certainement le détour !
Amen !
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